La Musique Eternelle
Les premières herbes qui, sur la terre verdissante, ont ondulé et frémi ne savaient pas qu’elles livraient le tressaillement secret de leur vie à une douce puissance qui le répandrait au loin. Oh ! sans doute, elles avaient je ne sais quel besoin obscur de communication et d’expansion, et c’est là l’âme du son ; mais ce besoin même, comment l’auraient-elles connu, si elles ne s’étaient senties comme enveloppées d’influences amies, et si le premier souffle passant sur elles n’avait associé leur frisson au frisson de l’espace ? [...] Oui, vraiment, avant qu’aucune voix sortît des êtres, il y avait la Voix, la voix mystérieuse, la voix muette qui attendait, pour appeler, pleurer, chanter, les confidences des vivants. Dans les sphères destinées à la vie, le silence universel était déjà plein de cette voix, et, en s’éveillant, les vivants l’ont éveillée. Voix sublime et familière qui ne vient pas des êtres, mais qui se fait toute à eux ; elle traduit si bien leur âme qu’elle a l’air d’en venir : oiseau divin qui semble éclore de tous les nids, parce qu’il en sait prendre la forme.
Avant la naissance des organismes sur notre planète, l’atmosphère était animée par les grands souffles, par le clapotement infini des vagues sur les grèves. Ainsi les vivants ont été, dès le début, bercés par une sorte d’harmonie immense et indistincte, et s’ils ont crié, soupiré, chanté, c’était pour répondre à l’espace frissonnant qui leur parlait. Les innombrables petites bêtes des champs se seraient tues depuis des milliers d’années, si elles n’avaient été comme provoquées par la musique éternelle et secrète qui flotte dans l’espace autour des vivants, et, de même que les éléments subtils qui s’évaporent des plantes se convertissent en rosée dans la fraîcheur des nuits sereines, les vagues tendresses qui montent des êtres se convertissent en harmonies dans la douceur des nuits musicales.
Jean Jaurès
The Eternal Music
The first blades of grass that undulated and shivered on the green earth did not know that they were delivering the secret thrill of their life to a sweet power that would spread it forth. Oh! No doubt, they already had a strong desire to communicate and expand, and that is the soul of sound; but this very need, how would they have known it, if they had not felt enveloped by friendly influences, and if the first wind passing over them had not associated their thrill with the thrill of space? […] Yes, truly, before any voice was uttered by beings, there was the Voice, the mysterious voice, the silent voice that waited, to call, cry, sing, the secrets of the living. In the spheres destined for life, the universal silence was already full of that voice and, by waking up, the living have awakened it. Sublime and familiar voice that does not come from beings, but gives itself to them; it translates so well their soul that it seems to come from it: divine bird that seems to blossom from all the nests, because it knows how to take their shape.
Before the birth of organisms on our planet, the atmosphere was animated by the great winds, by the infinite whirling of waves on the sea shores. The living were thus, from the very beginning, rocked by a kind of immense and indefinite harmony, and if they cried, sighed, sang, it was in reply to the shivering space that spoke to them. The numerous little country animals would have fallen silent thousands of years ago had they not been provoked by the eternal and secret music that floats in space around the living, and, as do the subtle elements that evaporate from plants transform themselves into dew in the freshness of calm nights, so do the vague waves of tenderness that rise from beings convert themselves into harmonies in the sweetness of musical nights.
Jean Jaurès (translated by François Holmey)
Read by Youness Bouzinab
Beau Soir, Debussy
Janine Jansen